Derrière l'ombre des projecteurs, il met tout en place pour la fabrication d'un chef d'oeuvre. On pense souvent que les producteurs ne font que donner de l'argent aux réalisateurs, tout en les contraignant à en dépenser le moins possible, mais il n'en est rien. Voici la carrière d'un producteur très aimé dans l'industrie (sauf par M. Guzzo).
L’amour du cinéma chez M. Déry se manifeste dès le
Cégep à Gatineau où il tourne des Super 8 avec son ami André Turpin avec qui il
retravaillera plus tard. Il fréquente aussi souvent les ciné-clubs. Ayant
terminé son DEC en sciences pures, le jeune homme déménage à Sherbrooke pour y
faire un BAC en biologie. Pendant ce temps, il continue à tourner des films en
Super8 et en notament présente un au festival du film Super 8 de Sherbrooke en
1985, rêvant, un jour, d’accéder à des compétitions internationales.
C’est au cours d’un autre Bac que Luc Déry reçoit la
piqure du cinéma lorsqu’il voit L'étatdes choses (1982) de Wim Wenders au cinéma d’Outremont où il avait déménagé
pour étudier à Polytechnique. Juste après, il laisse l’ingénierie pour se consacrer
aux Études cinématographiques, toujours à l’Université de Montréal. C’est
pendant ce temps qu’il rencontre sa future collaboratrice, Kim McCraw, lors du
tournage d’un court métrage étudiant. Le producteur raconte : « Ça a
tellement cliqué entre nous qu'après le tournage, on est allés jouer au pool
ensemble et qu'on est devenus instantanément amis »[1].
Après cette rencontre, les deux amis se perdent de vue.
Luc
Déry termine son deuxième Bac et commence peu à peu à se faire une place dans
l’industrie en essayant entre autres les métiers d’éclairagiste et de directeur
photo. Puis, il vient à un constat : « il manqu[e] de gens dans la
production et la distribution, particulièrement des jeunes. »[2]
Subséquemment, il complète un MBA à l’université de York à Toronto, se
spécialisant dans l’administration des arts et des médias.
De retour à Montréal, il se dirige vers la distribution
chez Aska films, puis chez Malo films. Ensuite, il s’aventure dans la
production, chez Qu4tre par Quatre. Il y retrouve son ami de Gatineau, André
Turpin, pour produire son projet : Uncrabe dans la tête (2001) qui remporte l’année suivante 7 prix Jutra, dont
celui du meilleur film et du meilleur scénario. Le film obtient aussi plusieurs
nominations aux Prix Génie, et aussi une nomination aux TFCA pour le meilleur
film canadien.
Juste
avant, il avait produit un film avec un autre confrère de Gatineau : La Moitié gauche du frigo (2000) de
Philippe Falardeau qui a aussi remporté son lot de prix. Depuis ce film, un
lien artistique s’est forgé entre les deux cinéastes; le producteur trouve que
« c’est un charme de travailler avec Philippe »[3].
Falardeau explique : « Now I’ve made all my feature films with him.
If I have my own personal project, Luc is always the first producer to whom I’m
going to present it. »[4]
Alors
que Qu4tre par Quatre entreprend un virage, Déry décide de voler de ses propres
ailes en fondant sa compagnie de production : Micro_scope, nom qui
témoigne de son passé. Il reprend contact avec Kim McCraw en la croisant sur un
tournage de pub. Dès lors, il la supplie de s’associer avec lui dans le
but de « faire des films d'auteur à petit budget qui traitent des
préoccupations de leur génération à travers une forme et une sensibilité
nouvelles. »[5]
Les
deux premiers fruits de la jeune compagnie sont des coproductions qui lui
valent une fois de plus de multiples nominations : « Les
coproductions sont incontournables. On a moins de fonds publics, pour plus de
projets. Il faut trouver des solutions, d’autres ressources […] c’est un combat
de tous les instants. »[6]
C’est
en 2005 que Déry et McCraw produisent pour la première fois un long métrage
« 100 % Micro_scope », c’est-à-dire Familia (2005), premier film de Louise Archambault. Encore, le film
obtient plusieurs nominations et la réalisatrice remporte le prix du meilleur
premier film canadien au Toronto International Film Festival. L’année suivante,
le duo Falardeau /Déry revient à la charge avec Congorama (2006), une autre coproduction avec un budget de
5 millions de dollars, ce qui donne plus de liberté au réalisateur. Une
fois de plus, Déry monte sur la scène des Jutra pour aller chercher la
statuette du meilleur film. Par contre, son film ne rencontre pas un gros
succès un box-office qui est
largement dominé par Bon cop Bad cop (2006)
cette année-là.
L’année
suivante, il remporte encore le meilleur film aux Jutra et aussi aux prix Génie
avec Continental, un film sans fusil (2007)
de Stéphane Lafleur, produit à l’aide d’un budget de 2,1 millions de dollars.
Stéphane Lafleur obtient aussi le prix du meilleur premier long métrage
Canadien au Toronto International Film Festival. « Nous sommes arrivés au
moment d'une espèce de changement de garde, d'une émergence de nouvelles voix
chez les cinéastes et auteurs. Et nous avons voulu accompagner de jeunes
réalisateurs dans leur début de carrière […] afin de donner une chance à […] de
nouveaux talents de faire leur place »,[7]
explique Luc Déry.
Malgré
les grands succès qu’ont les films de Déry et McCraw chez leurs pairs, le
public ne suit toujours pas, ce qui cause des soucis aux producteurs parce
qu’ils ne touchent pas à une enveloppe à la performance. Selon lui, l’argent
n’est pas également distribué ; « je suis pour le concept des
enveloppes dans la mesure où la distribution des enveloppes n’est pas basée
uniquement sur le box-office. »[8]
« Je crois qu’un des problèmes, c’est que les gens qui [en] bénéficient […]
ne veulent pas prendre de risques, alors que ça faisait partie des résultats
espérés de ce nouveau système. »[9]. « Ce qu'on aimerait, c'est
de pouvoir arriver au stade de pouvoir financer nos projets sans l'aide des
divers paliers de gouvernement afin de laisser cet argent aux nouveaux producteurs
qui en auraient besoin pour s'établir, comme nous avons eu la chance de le
faire. »[10]
Le cinéaste
produit en 2008, un autre film de Falardeau : C'est pas moi, je le jure! (2008) avec un budget de 4,7 millions. Le
film fait un fois de plus boule de neige dans les galas en remportant le prix
du meilleur film aux Jutra et au festival international de films de Berlin. Le
réalisateur gagne le Jutra du meilleur scénario et André Turpin, celui de la
meilleure direction de la photographie. Le film est plus vu que les derniers
longs métrages de la compagnie.
Deux
ans plus tard, c’est la consécration avec Incendies (2010) réalisé par un
nouveau venu chez Micro_scope : Denis Villeneuve.
« Nos films ont toujours été le fruit de notre
envie de travailler avec du monde de notre âge et de notre entourage comme
Philippe Falardeau, le frère de mon grand chum Pierre, André Turpin, avec qui
j'ai étudié, et Denis Villeneuve, que j'ai rencontré à l'époque du film Cosmos.
Tout cela était plus organique qu'organisé. »[11]
Le film obtient une grande
partie des Jutra Sont encore le meilleur film et le scénario. Il se retrouve sélectionné
dans à peu près tous les galas des États-Unis, dont les prestigieux Academy Awards dans la catégorie
« Best Foreign Language Film ». Il est aussi sélectionné pour un César
dans la même catégorie. Aux prix Genie, il gagne huit prix, dont celui du
meilleur film. Le public est aussi au rendez-vous cette fois; le film récolte
3,6 millions au box-office international, ce qui équivaut grosso modo à la
moitié du budget qui était de 6,8 millions.
En 2011, c’est au tour d’un autre film de Falardeau d’être
sélectionné pour les Oscars. Monsieur
Lazhar (2011), qui ouvre nulle part autre qu’à la quinzaine des
réalisateurs à Cannes, fait de Luc Déry le seul producteur à détenir 5 Jutra du
meilleur film. Le film obtient l’équivalent au TFCA et au Genie. Il remporte
autant de succès qu’incendie au box-office.
Selon Déry, l’attention donnée au scénario est
primordiale. « Valérie Beaugrand-Champagne, qui travaille très fort avec les
réalisateurs sur le scénario et qui ne les lâche pas tant que tout le monde
n'est pas satisfait du résultat, a contribué énormément à notre succès. Qu'on
le veuille ou non, un film, ça part d'abord d'un scénario »[12]
explique-t-il. De ce fait, le producteur critique le cycle infernal créé par le
financement gouvernemental puisqu’il force souvent à terminer le développement
plus tôt qu’il aimerait, alors que les scénarios auraient besoin de plus de
révisions, parce que les dates de dépôt de projets sont très fixes et qu’en ne déposant
pas de projets, il perd de la crédibilité. Il prône une enveloppe au
développement au lieu du système actuel.
Le cinéaste s'implique de très près tout au long de la
production de chacun de ses films :
«Être
producteur, c'est se trouver au coeur de tout ce qu'implique faire un film, explique-t-il. Je suis souvent le premier lecteur du
scénariste, je suis aussi au côté du réalisateur quand il soumet son idée de
long métrage aux instances de financement; je m'implique dans le choix de la
distribution et je suis celui qui trouve l'argent pour que tout le monde puisse
faire son boulot sans souci. J'adore cet aspect touche-à-tout de mon métier!»[13] «C'est une mauvaise
conception du métier de producteur que de croire que nous sommes là juste pour
trouver du financement, soutient-il. Il faut se sentir allumés nous aussi, pour mettre tous les efforts
nécessaires pour concrétiser un projet! Nous n'avons jamais accepté de
travailler sur un film en nous disant: 'C'est sûr que ça va marcher.' On
embarque quand on est convaincus qu'on peut nous aussi, Kim et moi, lui
apporter quelque chose, qu'on peut contribuer à en faire le meilleur film
possible»[14] « On
ne tourne pas des budgets, on tourne des scénarios.»[15]
[1]
(Dixit Luc Déry) PETROWSKI, Nathalie. « Luc Déry et Kim McCraw: les Oscars,
deux ans de suite », La Presse (Montréal),
25 février 2012.
[2]
(Dixit Luc Déry) PRESSE CANADIENNE. « Un premier film 100 % Luc
Déry », Le Droit (Gatineau), 10
septembre 2005.
[3]
(Dixit Luc Déry) PERRON, Éric. « Entretien avec Luc Déry, producteur de
Congorama », Cinébulles, Vol.24,
No. 2, Automne 2006, pp.10-18.
[4]
(Dixit
P. Falardeau) SIMPSON, Peter.
« Monsieur Lazhar, the Oscars, and the power of Lucky Charms
cereal », Ottawa Citizen :
Blogs : The Big Beat, [En ligne],
http://blogs.ottawacitizen.com/2012/02/17/monsieur-lazhar-the-oscars-and-the-power-of-lucky-charms-cereal/
(consultée le 13 février 2013).
[7]
(Dixit Luc Déry) PRESSE CANADIENNE. « Luc Déry, un producteur qui mise sur
les jeunes réalisateurs », La Presse (Montréal), 25 mars 2008.
[9]
GAJAN, Philippe, Marie-Claude Loiselle. « Financement du cinéma
québécois en eaux troubles», 24
images, No. 127, Juin-juillet 2006, pp.30-35.
[10]
(Dixit Luc Déry) LESSARD, Valérie. « La recette du succès de Luc
Déry », Le Droit (Gatineau), 19
mars 2012.
[15]
(Dixit Luc Déry) É. PERRON. « Entretien avec […] »
Médiagraphie
Internet
« C'est
pas moi, je le jure!», Internet Movie
Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt1163752/ (consultée le
13 février 2013).
« C'est
pas moi, je le jure! », telequebec.tv :
Cinéma québécois, [En ligne],
http://cinemaquebecois.telequebec.tv/#/Films/334/Clips/1416/Default.aspx
(consultée le 13 février 2013).
« Congorama »,
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Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt1093815/ (consultée le
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« Incendies »,
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« Luc
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[En ligne], http://www2.telefilm.ca/05/516/berlin/2013/producers.php?id=1802
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[En ligne], http://www.imdb.com/title/tt2011971/ (consultée le 13 février
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crabe dans la tête », Internet Movie
Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt0284214/combined
(consultée le 13 février 2013).
Journaux
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2011.
CÔTÉ,
Daniel. « Luc Déry ne regrette surtout pas d'avoir changé d'idée »,
Le Quotidien (Chicoutimi), 25 septembre 2012.
CÔTÉ,
Émilie. « Portrait : Luc Déry », La Presse (Montréal), 3 septembre 2005.
KELLY,
Brendan. « Showbiz chez nous : Other films get the hype, Déry’s get
the balance », The Gazette (Montréal),
17 mars 2008.
KELLY,
Brendan. « Show Biz chez nous : Sun News Network attack on Monsieur
Lazhar is just goofy», The Gazette (Montréal),
17 février 2012.
LESSARD,
Valérie. « La recette du succès de Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 19 mars 2012.
LESSARD,
Valérie. « Luc Déry le stress
et l’espoir d’une statuette » (sic), Le
Droit (Gatineau), 26 février 2011, p. A5.
PETROWSKI,
Nathalie. « Luc Déry et Kim McCraw: les Oscars, deux ans de suite », La Presse (Montréal), 25 février 2012.
PRESSE
CANADIENNE. « Luc Déry, un producteur qui mise sur les jeunes
réalisateurs », La Presse (Montréal), 25 mars 2008.
PRESSE
CANADIENNE. « Un premier film 100% Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 10 septembre 2005.
ROY,
Pierette. « "L’arrache idée" de Luc Déry en première
mondiale : Cinéphile passioné devenu cinéaste », La tribune
(Sherbrooke), 26 février 1985.
Périodiques
GAJAN,
Philippe, Marie-Claude Loiselle. « Financement du cinéma québécois en
eaux troubles», 24 images, No. 127,
Juin-juillet 2006, pp.30-35.
PERRON,
Éric. « Entretien avec Luc Déry, producteur de Congorama », Cinébulles, Vol.24, No. 2, Automne 2006,
pp.10-18.
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